lundi 3 mars 2014

Le noir profond de Pierre Soulages : l'Outrenoir


Mon 2ème article mentionnait l'oeuvre de Pierre Soulages. Pour concrétiser un peu plus ce blog et après avoir passé l'interlude avec l'article sur Eileen Gray, j'y reviens pour vouer un véritable culte à cet artiste. Et ce n'est pas peu dire. En effet, son oeuvre peinte est d'une telle sacralité que je ne vois pas comment je pourrais considérer autrement mon état d'esprit lorsque je la contemple.

C'est avec une grande émotion que j'ai appréhendé l'oeuvre de Soulages au musée Fabre de Montpellier. Je l'avais déjà découverte au travers des livres pendant mes études mais l'expérience physique et sensorielle des tableaux en général est toujours plus forte.

Je ne pourrais pas m'étendre sur l'ensemble de son Oeuvre. Pour cela, je m'intéresserai davantage à ce qui constitue la force de l'ensemble de sa création : l'Outrenoir. C'est en effet, sur ses monumentales peintures que mon coeur a failli me lâcher. Elles m'ont surprises dans la mesure où elles réinventent la lumière et le noir. D'abord souvenir d'enfance transcrit dans une tache de goudron sur le mur de l'hôpital de Rodez, le noir devient par la suite le sujet central dans ses toiles qu'il élèvera à son apogée dans les années 70 lors de sa deuxième exposition monographique au MNAM de Paris. Pierre Soulages vient alors, sous une forme d'outrance ou d'excès, faire varier la perception de ses oeuvres grâce à un jeu de matière et de lumière. En effet, les coups de spatule créent des sinuosités, des traces, des reliefs. Le tableau plan n'est plus, il vit sous le mouvement du spectateur car la lumière apporte des tons et des nuances différentes de cet Outrenoir.




C'est en s'inspirant de Gauguin, ou encore de Rembrandt que son intérêt pour la lumière prit de l'envergure. Une envergure telle qu'il retint l'utilisation du noir pour rendre "le blanc du papier plus blanc, plus lumineux, comme la neige", c'est en soi de cette manière qu'il découvrait de quoi sont capables l'union des couleurs entre elles. L'emploi même de la couleur ne fut pas le seul élément qu'il retint pour faire de la lumière le corollaire du noir. Les coups de pinceau d'un lavis de Rembrandt, le fascina en ce qu'ils "illuminaient par contraste le blanc du papier qui devenait aussi actif qu'eux". En réalité, voilà la clef principal de l'oeuvre de Pierre Soulages.


C'est une conception artistique inextricable de ses peintures monumentales où jaillit l'Outrenoir car ses grands aplats de noir raclés créent des contrastes au sein même du noir et non plus seulement au sein de peintures à fond clair. Aussi, par ce procédé, la lumière est intrinsèque à la toile, elle naît de façon christique au travers de la couleur. C'est d'autant plus intéressant, qu'elle ne se contente pas d'émaner, elle évolue, elle est absorbée, elle se module au grès de son intensité, de la distance du spectateur, de son déplacement. Par ailleurs, la monumentalité des oeuvres cède sous la légèreté de l'accrochage car les peintures flottent au travers des salles d'exposition et cela s'ajoute à la sacralité des oeuvres : mise en évidence à l'instar des retables accrochés dans le choeur des églises. 

C'est pourquoi, peut on dire que les oeuvres de Pierre Soulages sont de véritables expériences à vivre dans l'instant présent, et dans la solitude. 


"Dans l'étalement de l'unique noir de ces peintures noires, ce sont des différences de textures, lisses, fibreuses, calmes, tendues ou agitées qui, captant ou refusant la lumière, font naître les noirs gris ou les noirs profonds. Ce principe, en oeuvre, déjà, dans des toiles d'il y a une vingtaine d'années, est dans ces dernières peintures radicalisé. (Ce qui importe bien entendu, est ce que sont réellement les peintures et non cet aspect de la physique de la lumière qui en est la base)". 

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