samedi 18 janvier 2014

Eileen Gray ou l'esthétique d'une lady


Précédemment, je détenais un autre blog où je vantais l'exploit artistique d'Eileen Gray, une artiste Art Déco qui m'a bouleversé lors de l'exposition qui lui était consacrée au Centre Pompidou. Blog temporaire de photographies amateurs et une esquisse de ce blog avec quelques articles sur l'art, un blog de quelques années désormais supprimé. Je souhaiterai revenir sur cette artiste car elle m'a beaucoup touché et il me semble que son travail peut être le départ d'une suite d'autres articles attribués à l'Art Déco. L'exposition récente, datant de l'année dernière, débutait sur les oeuvres laquées d'Eileen Gray en collaboration avec Seizo Sugawara qui lui enseigna la technique du Laque, la manière de laquer les meubles et objets pour obtenir une matière décorative, à la surface lisse, profonde et émanation de lumière. 


La découverte du paravent est une merveilleuse combinaison de l'objet décoratif et de l'espace environnant. Il devient le marqueur temporel de la prise en considération de l'espace. Une douce lumière venait éclairer les multiples rectangles noirs laqués qui composait l'oeuvre qu'Hector Guimard, l'un des maîtres de l'Art Nouveau, détiendra dans sa collection. La lumière ricochait au sol où luisaient les reflets, elle semblait même émaner de l'objet. Le sol était recouvert d'une lumière graphiquement belle. Si les oeuvres n'étaient pas inaliénables au musée, et si l'argent ne manquaient pas sur mon compte, j'aurais déjà acquis ce paravent. ;)


Le parcours se poursuivait sur les nombreux autres mobiliers, idées de motifs géométriques et ludiques pour tapis ainsi que tout son travail architecturale. Succédant à Elsie de Wolfe, la pionnière de la décoration, Eileen Gray crée ses premiers environnements intérieurs pour Madame Mathieu Lévy. Ce fut pour elle un travail considérable de plusieurs années mais qui la rendra on ne peut plus humble lorsque Madame Mathieu Lévy le redécorera de fond en comble quelques années plus tard. Son style très ingénieux mobilisait le principe du module, la simplicité et l'épuration. En effet, c'est en s'appuyant avec audace sur les arts premiers, océaniens et égyptiens, dans le but d'attribuer à sa création une ligne propre, qu'elle surprendra les incontestables fidèles du XVIIIe siècle. 

Pavillon l'Esprit nouveau du Corbusier

Revenons sur cette notion de module un instant : Il est vrai que cela fait vivement référence au Corbusier qui l'utilisa pour harmoniser les formes entre elles et pour illustrer mes propos il semble juste de parler de l'Exposition universelle de 1925 où furent installés des pavillons spécifiques aux travaux de certains artistes et courants de cette merveilleuse époque durant laquelle foisonnèrent des oeuvres révolutionnaires. C'est à cette époque que naît l'esprit Dada, que l'abstraction de Piet Mondrian ou Laszlo Moholy-Nagy devient un langage à part entière, ou encore que l'automatisme pur du surréalisme éclôt. Le pavillon de l'Esprit nouveau du Corbusier montre le rejet de la notion d'art décoratif, à laquelle il préfère l'équipement de la maison. Son architecture moderne est l'oeuvre du purisme où le mouvement de l'Homme devient une promenade architecturale qui révèle les volumes et leurs modulations. En effet, l'architecture nouvelle des années 20 est animée par une ossature sur pilotis, toit-terrasse, plan libre, fenêtre en bande et façade libre où les murs sont membranes. Ceci constitue les 5 points dune architecture nouvelle définis par le Corbusier en 1927.La table dite De Stijl figure bien cette hétérogénéité de matériaux et d'idéaux qui s'associent pour judicieusement s'accorder en unité cohérente et organique.

Table De Stijl
Maison E-1027
Figure marquante de l'histoire du design et redécouverte depuis 1972 avec la vente de la collection de Jacques Doucet, Eileen Gray se penche en 1924 avec l'architecte Jean Badovici sur la construction de la maison E-1027 à Roquebrune, une "maison-mobilier". La maquette était présentée à l'exposition et donnait une idée de la volonté d'Eileen Gray d'aller à l'essentiel (entendez essence, la substantifique moelle de la forme) tout comme le mobilier de sa propre main qu'elle intègre au design intérieur. Chefs-d'oeuvre du modernisme, "les meubles mêmes, perdant leur individualité propre, se fondent dans l'ensemble architectural" (E. Gray et J. Badovici, "De l'éclectisme au doute"). On se retrouve totalement dans une morphodynamique, un mouvement organique susceptible de faire vibrer l'intérieur. C'est une "mise en tension" de la construction comme l'a justement précisé Theo Van Doesburg. 

Eileen Gray souhaitant combiner utilité et légèreté créa une unité architecturale. L'architecture devient écrin, boîte de Pandore où s'entremêlent les oeuvres décoratives. Voilà comment le travail d'Eileen Gray s'oriente et Ô combien, son désir d'y figurer un art total "au coeur du mouvement moderne" (Jean Badovici, "L'art d'Eileen Gray") est important. Qui plus est, Eileen Gray ne serait pas une artiste totale si, en plus de ses deux maisons, ses meubles et ses oeuvres graphiques, elle ne s'était pas penchée sur l'art de la photographie où elle se met en scène et exploite l'expression de son identité et de sa curiosité visuelle. En voici quelques exemples:  

Eileen Gray, Sans titre, circa 1940


Eileen Gray, Nature morte au masque kpan, années 1920

Les prototypes multifonctionnels sont peut-être pour moi, ce qui constituent davantage son génie. Le siège-escabeau-porte-serviette par exemple ou la table ajustable, l'oeuvre présentée en première page de couverture du catalogue de l'exposition, de 1926-1929, fait partie du mobilier provenant de E-1027 et présente sommairement les matériaux  caractéristiques de son oeuvre: une structure en acier tubulaire laqué, un plateau circulaire transparent et une hauteur réglable. La diversité en un. On est bien loin de notre environnement multifonctionnel du XXIe siècle..! Voyez comme ces créations modernes furent innovantes et s'inscrivent désormais comme des classiques de l'Art Déco et du Design…

Je vous conseille de lire le catalogue de l'exposition : PITIOT Cloé (dir), Eileen Gray, Editions du Centre Pompidou, Paris, 2013.

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